vendredi, décembre 12, 2008

the PoniCalendrierClub de l'avent #6

Aujourd'hui un petit conte de Noël qui ne concerne pas du tout Noël. Mais vu qu'il est long pour un blog et que je crains l'overdose de mon public chéri que je sous-estime probablement en disant cela, je vous laisse profiter du spectacle et ferme ma grande bouche.

"[…] C’est d’ailleurs ainsi que le carnaval est venu pour la première fois à Venise. Il y avait la peste, les gens tombaient mort dans les rues et toutes les prières avaient échoué… La peste était devenue tellement arrogante, elle avait pris une telle assurance de grand seigneur, qu’elle ne se cachait même plus, comme elle le fait d’habitude, elle ne se tenait plus dans les coins et on la voyait vêtue de ses horribles oripeaux avec sa tête de mort bien visible car elle ne se gênait plus et ne portait même plus le masque… Partout, sur son passage, les gens tombaient. Elle marchait en s’appuyant sur une canne de chambellan et derrière elle marchaient les scribes qui notaient la récolte. Mon grand-père se souvenait très bien de l’avoir vue, au bord du canal Luna : elle s’était arrêtée parce qu’il y avait là l’église de Saint-Innocent, qui était pleine de gens ; ils priaient pour que la peste s’en aille. La peste adore les gens qui prient, parce qu’elle aime le sérieux. Sans le sérieux, sans le respect, la mort est démoralisée, elle ne se sent pas assez importante et elle ne travaille pas aussi bien. Les gens qui manquent de sérieux donnent à la mort la colique. Elle aime l’ordre, l’obéissance, la gravité, la rigueur. Mon grand-père crut que son dernier jour était venu, parce que la peste était à dix pas devant lui, à priser du tabac, en écoutant les prières. Il a ôté bien vite son chapeau et lui a fait une belle révérence, croyant la désarmer, car les grands de ce monde aiment la soumission. La peste ne l’a même pas remarqué, tant elle était en train de jouir des prières ; elle referma sa tabatière et regarda avec impatience vers les scribes qui faisaient leurs comptes : il y avait plus de trois cents personnes dans l’église. Une bonne récolte. Alors la peste est entrée. Mon grand-père allait prendre ses jambes à son cou lorsque tout à coup il entendit des trompettes et des rires. Il tourna bien vite la tête et c’est alors qu’il vit le carnaval qui entrait. Au premier rang, il y avait les saltimbanques, les jongleurs et les acrobates, puis derrière venaient ceux qui devaient plus tard devenir célèbres, Arlequin, Brighella, Pantalon, Colombine, les polichinelles, et tous les autres, bien qu’il manquât à certains des détails, des traits : ils n’étaient pas encore au point. Du ciel tombait la neige italienne, bleue, verte, jaune et rouge, que l’on appelle confettis. La peste est sortie de l’église pour y mettre bon ordre mais voilà, les saltimbanques du premier carnaval, tous les polichinelles et tous les paillasses, étaient tirés par des ficelles qui montaient au ciel, où ils étaient tenus fermement en main par le plus grand saltimbanque de tous, le grand Zaga, en quelque sorte, et dès qu’ils ont vu la peste noire sortir de l’église, ils ont commencé à rire encore plus fort. La peste, quand elle a entendu le rire et qu’elle a vu qu’on ne la prenait plus au sérieux, elle a eu très peur et elle s’est enfuie vers des endroits où le sérieux règne en maitre […]. C’est comme ça que la République de Venise a été sauvée par le carnaval et c’est aussi la première fois que le peuple a compris quelles armes puissante le rire et l’irrespect pouvaient devenir, et c’est ainsi qu’est née la commedia, l’Arlequin et la liberté. C’est pourquoi jusqu’à ce jour toutes les pestes du monde craignent le rire par-dessus tout, car celui-ci possède des vertus désinfectantes qui sont fatales aux puissants…"


extrait d'un bien beau roman intitulé Les Enchanteurs de Romain Gary qui est lui aussi bien beau. Love sur vous mes enfants.



1 commentaire:

ketch a dit…

A wéééééééé c'est pas mal. Je savais pas qu'on avait un Gary comme stagiaire ?